Promotion et gestion de la santé au travail

Publié le: 2 septembre 2019



Stress-as-Offense-to-Self – plus de 10 ans de recherche en faveur de la santé au travail.

Sur le blog de Psychoscope – par Sibylle Galliker, le 27.08.2019

Un groupe de chercheurs réuni autour du psychologue du travail et des organisations Norbert Semmer de l’Université de Berne a mis au point le concept de «Stress-as-Offense-to-Self» (stress en tant qu’atteinte au soi, SOS) il y a plus de 10 ans, à l’Université de Berne. Aujourd’hui, les scientifiques publient dans un article un compte-rendu théorique de leurs recherches. Ce faisant, ils documentent les résultats d’étude sur le concept SOS et offrent des perspectives sur des questions et des points importants.

Le Stress-as-Offense-to-Self voit le maintien d’une estime de soi et d’une estime sociale positives comme un point central. Le concept SOS se fonde sur le postulat que l’atteinte et la préservation d’une estime de soi positive est un besoin fondamental. Les menaces pour l’estime de soi sont génératrices de stress. En revanche, une amélioration de l’estime de soi favorise le bien-être. L’une des principales hypothèses du concept SOS et la suivante: de nombreuses conditions de travail et interactions génèrent du stress, car elles sont l’expression d’un manque d’estime et menacent l’estime de soi. Les approches traditionnelles visant à expliquer le stress au travail voyaient essentiellement dans l’estime de soi une ressource personnelle permettant de surmonter des situations difficiles. Le concept SOS pose l’estime de soi au centre des mécanismes de stress. On distingue le soi personnel et le soi social. L’estime de soi personnelle correspond à l’auto-évaluation des qualités propres souhaitées, comme les compétences ou l’attractivité. L’estime de soi sociale correspond davantage à la façon dont une personne se sent considérée et appréciée par des personnes importantes pour elle. Sont particulièrement importantes pour l’estime de soi personnelle: l’autoévaluation et l’évaluation d’autrui en ce qui concerne les accomplissements et la réussite professionnelle ou les échecs ainsi que les exigences morales associées au travail, comme par exemple le fait d’être vertueux ou de ne pas exploiter d’autres personnes. Le fait de ne pas se sentir apprécié, d’être dévalorisé, traité de manière injuste, ignoré, attaqué ou exclus menace l’estime de soi sociale.


Les tâches illégitimes

Le fait de (ne pas) être apprécié peut être intimement lié au comportement interpersonnel, mais aussi aux conditions de travail, comme l’organisation du travail, les facteurs de stress et les ressources. Les caractéristiques des tâches professionnelles représentent depuis toujours un axe important de la recherche et de la pratique en matière de psychologie du travail. L’organisation des activités peut menacer ou stimuler le soi. Norbert Semmer et ses collègues ont mis au point et établi un nouveau concept de facteur de stress: les tâches illégitimes. Les activités comprennent différentes tâches; certaines sont propres au métier (les professeurs enseignent, les médecins soignent, etc.), mais il y a aussi des activités secondaires. Le sentiment de réussir dans son travail résulte essentiellement du succès expérimenté dans les tâches fondamentales. C’est à travers leur réalisation que nous sentons que ce que nous accomplissons a un sens. En revanche, les tâches ne relevant pas de notre capacité professionnelle et que d’autres personnes devraient exécuter, ainsi que les tâches que nous jugeons inutiles et qui auraient pu être évitées nous empêchent d’accomplir nos tâches principales et peuvent s’avérer pénibles.

Ces tâches sont qualifiées d’«illégitimes», et elles sont divisées en deux sous-catégories. Les tâches inutiles sont celles qui sont jugées insensées (devoir créer des documents que personne ne lira jamais ou presque, par exemple) ou qui n’existeraient pas si un meilleur travail avait été fourni aux stades antérieurs (par exemple, si des données doivent être transférées manuellement d’un système informatique à un autre, parce que personne n’a prêté attention à la compatibilité des systèmes lors de leur acquisition). Les tâches inacceptables sont celles qui ne sont pas couvertes par la capacité professionnelle donnée. Elles devraient être réalisées par quelqu’un d’autre. Ce sont par exemple les tâches administratives, perçues par certains médecins comme insensées, mais parfaitement légitimes pour d’autres professions, comme par exemple les secrétaires médicales. Il s’agit donc de tâches considérées comme inutiles ou insensées dans une profession et un contexte donnés, mais parfaitement légitimes dans d’autres circonstances.

Les tâches illégitimes représentent un facteur de stress; non parce qu’elles en exigent trop ou pas assez d’une personne, ni parce qu’elles engendrent un déséquilibre entre les exigences et les rémunérations, mais parce qu’elles menacent l’estime de soi. En effet, ce manque de légitimité s’associe à un message social de manque de respect. Le fait de devoir exécuter une tâche qui devrait être réalisée par quelqu’un d’autre (tâche inacceptable) ou considérée comme une perte de temps (tâche inutile) traduit un manque de respect pour la personne chargée de l’exécuter

Il a pu être démontré que les tâches illégitimes étaient fortement liées à l’estime de soi, à l’identité professionnelle et à un comportement contre-productif, mais aussi au présentéisme et à l’évaluation des performances par les supérieurs. En outre, ces tâches entraînent un risque de chute, de glissade et de trébuchement accru en raison d’un déficit de l’attention. Par ailleurs, elles peuvent entraîner des variations des intentions, des burnout et un certain ressentiment vis-à-vis de sa propre entreprise. Une corrélation entre les facteurs physiologiques tels que la libération de cortisol et les facteurs essentiels pour la détente, tels que la qualité du sommeil et la déconnexion après le travail a également pu être démontrée.


L’estime de soi

Outre les activités illégitimes, le deuxième axe de recherche des scientifiques bernois est l’estime au travail. Le moyen le plus direct de renforcer l’estime de soi de quelqu’un, c’est de lui exprimer son estime, en faisant son éloge ou en lui exprimant sa reconnaissance ou sa confiance ou en demandant l’avis des collaborateurs, par exemple. Le fait de donner des responsabilités, par exemple en confiant des tâches difficiles à quelqu’un, permet de témoigner son estime et son respect, mais aussi son soutien à cette personne.

Norbert Semmer et ses collègues considèrent l’estime comme l’élément clé du support social (y compris organisationnel), mais aussi comme principale responsable des effets positifs du soutien sur la santé. Les effets indépendants (qui vont au-delà du soutien social) de l’estime exprimée par différentes personnes (supérieur hiérarchique, collègues, clients) ont également pu être démontrés. La recherche sur le soutien dysfonctionnel montre déjà que le soutien (bien intentionné) peut même menacer l’estime de soi et par conséquent agir comme un facteur de stress. Souvent, la «personne censée apporter son soutien» ne remarque pas les signaux qu’elle émet lorsqu’elle propose par exemple une solution à un problème («il te suffit de…»); à savoir que la personne concernée est incompétente

Si les tâches peuvent être illégitimes, les facteurs de stress peuvent l’être également.

Le fait de formuler des feeedbacks comportant des menaces subtiles est un autre thème du concept SOS. On entend par-là un message dont le contenu est négatif, mais formulé sur un ton amical et sans référence explicite à une attribution interne. Souvent, cela est involontaire et la personne émettant le retour n’en a pas conscience. Cependant, les individus sont en général très sensibles aux messages qui touchent à leur être. On assiste ainsi par exemple à des périodes d’inaction extrêmement longues en cas d’erreurs, en particulier dans le cas de petites erreurs, à des exagérations des conséquences des erreurs ou à des banalisations consistant à dire que rien n’aurait été plus simple que d’éviter précisément ces erreurs, qui menacent de l’estime de soi.


Les facteurs de stress illégitimes

Un autre concept encore peu étudié mais très prometteur dans le cadre de la théorie SOS concerne les facteurs de stress illégitimes. Si les tâches peuvent être illégitimes, les facteurs de stress peuvent l’être également. Certains facteurs de stress sont inévitables dans certaines professions. On attend par exemple du personnel médical qu’il s’occupe des urgences même si cela implique de faire des heures supplémentaires; cela s’applique également aux surveillants de prison confrontés à des détenus violents. Ces facteurs inévitables sont moins stressants que les facteurs évitables, comme par exemple la chute d’une machine attribuée au fait que les collaborateurs de l’équipe précédente n’ont pas travaillé correctement.

Le concept SOS offre une série d’implications pratiques. Les organisations et les cadres ne doivent notamment pas sous-estimer le rôle important des messages concernant le soi; ils doivent être conscients que ces messages sont omniprésents, mais aussi savoir que même des messages subtils et des signaux symboliques ont un impact. Bien souvent, ces messages ne sont pas émis intentionnellement, et l’émetteur n’en a même pas conscience. Le danger qu’ils représentent est fréquemment sous-estimé et les personnes qui se sentent menacées sont qualifiées de «trop sensibles». Il convient de transmettre aux managers des connaissances et des compétences sur des thèmes tels que les retours comportant des menaces subtiles, sur le fait de poser des questions et d’écouter attentivement les réponses, de reconnaître le bon travail et sur les activités illégitimes et l’offense éventuelle qu’elles représentent. Il convient également d’aborder la gestion des menaces pour l’estime de soi émises.


Semmer, N. K., Tschan, F., Jacobshagen, N., Beehr, T. A., Elfering, A., Kälin, W., & Meier, L. L. (2019). Stress as Offense to Self: a Promising Approach Comes of Age. Occupational Health Science, 1-34.

Lien vers l’article de recherche (consulté le 02.09.2019)

Lien vers l'article sur le site de la FSP (consulté le 02.09.2019)

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